LES MOTS FROISSÉS
Un dictionnaire perd ses pages
Sur une plage de Buenos Aires
Une baraque près du rivage
Une girouette, un bulldozer
Elle écrit depuis l’automne
Sur un banc devant l’estuaire
Les doigts sur la Remington
De son père
La Mustang est au garage
Le vent rouvre les portières
Un éclat de coquillage
Attend sur le siège arrière
Elle écrit à l'encre rouge
Elle écrit au révolver
Des mots qui dorment ou qui bougent
Comme la mer
Elle écrit
Des mots froissés
Elle écrit
Des mots blessés
Elle écrit
Des mots rouillés
Sur du papier trempé
Elle écrit
Des mots
Froissés
Elle a posé ses bagages
Pour le voir, l'année dernière
Aucune trace de son visage
Rien que la mer et la mer
Ses drôles d’histoires, ses naufrages
Ses virées en solitaire
Elle a perdu le sillage
De son père
Une silhouette au bastingage
Une couchette, une table en fer
Il est peut-être en voyage
Il est peut-être docker
Dans un port du bout du monde
Mais où c'est le bout du monde
Quand on est à Buenos Aires ?
Buenos Aires
Elle écrit
Des mots froissés
Elle écrit
Des mots blessés
Elle écrit
Des mots rouillés
Sur du papier trempé
Elle écrit
Des mots
Froissés
Elle regarde venir l'orage
Il repeint le ciel en vert
S'en aller, c'est du courage
Elle a rangé ses affaires
Un billet pour l'autre rive
Un billet pour d’autres terres
Et tant pis si elle dérive
Comme son père
Un dictionnaire perd ses pages
Sur une plage de Buenos Aires
Plus personne sur le rivage
Juste un courant d'air